Tout autour de lui n’était que brume, paysage indistinct, zone flou et grise, sans consistance ni réelle apparence. La seule chose réelle et on ne peut plus vrai, en chair et en os, qu’il y avait ici, à part lui, c’était le loup rouge qui se tenait en face. Maverick savait d’instinct qu’il ne pouvait pas lui échapper, même s’il cherchait à fuir d’une façon ou d’une autre. Cela tombait bien parce qu’il ne comptait pas se défiler. Après tout, il y avait peu, une présence lui avait presque imposé de se battre alors qu’il était en train de se noyer de douleur. Il était donc bien décidé à affronter la bête, quoiqu’il lui en coûte. De toute façon, il n’y avait rien d’autre à faire, perdu dans cet endroit qu’il ne connaissait pas. Et quelque chose lui disait que s’il voulait en sortir pour retrouver le vrai monde, il devait se frotter d’une manière ou d’une autre au canidé. Errer à tout jamais dans ce néant, merci mais non merci, très peu pour lui.

A nous d’eux !

Et l’Erudit se jeta sur le loup ! Les babines de ce dernier s’étirèrent pour laisser voir ses crocs. Une menace ? Ou bien un sourire carnassier ? Difficile à dire. Surtout que l’animal ne resta pas en reste et se lança lui aussi à l'assaut de son adversaire. Le choc fut violent et un bref instant, la vision de Maverick se brouilla pour laisser place à une pièce inconnue avec des barreaux en face de lui, comme ceux d’une cellule mais quelque chose dans les couleurs et les proportions étaient bizarres, comme s’il avait un filtre devant les yeux. Il grogna, d’un ton sourd et vibrant et tout re-bascula pour le recentrer sur son affrontement. Les deux êtres ne se laissaient pas de répit. Ils se fonçaient, revenant sans cesse à l’attaque, prenant tour à tour le dessus l’un sur l’autre. Etrangement, il n’y avait pas de blessures visibles ni de sang. Pourtant, le jeune homme sentait chacun des coups et ressentait la fatigue le gagner. Mais à voir la façon dont les flancs de l’animal se soulevaient et comment il haletait, il n’était pas le seul à éprouver de l’éreintement. S’ils continuaient comme cela tous les deux, ils se retrouveraient à cours d’énergie bien avant d’avoir réussi à déloger l’autre.

Le combat n’était tout simplement pas la bonne solution. Mais dans ce cas là, que fallait-il faire ? A bien y réfléchir, le loup ne semblait pas vouloir à tout prix le manger. Ce qui était un bon point, d’un certain point de vue. Mais alors, que faisait-il là ? Et surtout, qu’attendait-il le l’être humain en face de lui ? Car quelque chose disait à Maverick que la solution devait venir de lui. Que si, à un moment, il ne passait pas un cap dans son raisonnement, il resterait éternellement dans cette position perdu au milieu d’il ne savait où. Il prit donc le temps de poser les choses, observant attentivement le lupus, tout en restant quand même sur ses gardes, on ne savait jamais. Lentement, une ébauche d’idée de format dans son esprit. Il fronça légèrement le sourcil tandis qu’il s’attardait sur cette dernière. C’était quand même quelque peu tiré par les cheveux mais peut être que …

S’accroupissant face au loup, toujours avec quelques mètres d’écart entre eux, le Descendant pencha doucement la tête sur le côté, un peu comme les canidés savaient sur bien le faire. Alors qu’il ouvrait la bouche, près à dire quelque chose, l’animal se mit lentement à avancer vers, le regard fixé au sien, tête baissée. C’était comme s’il savait ce que Maverick s’apprêtait à faire, comme s’il l’avait lui dans son esprit et qu’il approuvait. Le canidé s’arrêta à peine à quelques centimètres de lui. Les secondes s’écoulèrent lentement avant que l’Erudit vienne poser son front sur celui de l’animal, toujours les yeux dans les yeux. Pendant quelques secondes, rien ne se produisit, puis les deux êtres semblèrent se fondre l’un dans l’autre, en une nouvelle entité.

Maverick ouvrit les yeux et les referma immédiatement en grimaçant. Un mal de crâne digne d’une gueule de bois d’une semaine lui martelait les tempes et la faible luminosité des lieux suffisait à lui envoyer des pics de douleur derrière les rétines. En mettant en écran devant ses yeux, il retenta une nouvelle fois d’ouvrir les yeux, mais cette fois-ci, millimètre par millimètre. Ce n’était toujours pas gagné et agréable mais au moins, ça fonctionnait. Il regarda pendant un instant le plafond entre ses doigts. C‘était étrange. Ce dernier ne lui disait absolument rien. Et il était peu probable qu’il se soit mis une murge la vieille au point de ne pas s’en souvenir. Il était allongé sur une couchette spartiate qui ne lui rappelait rien. Il tourna légèrement la tête pour observer des barreaux. Tiens, eux lui disaient quelque chose même si la dernière fois qu’il les avait vus, la vision avait quelque chose de bizarre. Son regard fit le point pour finir par voir au-delà et notamment identifier l’endroit d’où provenait la musique qu’il entendait depuis son réveil. A moitié affalé dans un fauteuil, un jeune homme grattait quelques cordes de la guitare qu’il avait entre les mains, comme perdu dans ses pensées.

Où … Où suis-je ?

Parce qu’il n’était pas en prison, même si ça pouvait y ressembler. Il essayait de se redresser, mais trop vite et la tête lui tourna, des étoiles se mettant à scintiller devant ses yeux. Il grogna. Il ne se souvenait pas de ce qu’il s’était mis, mais visiblement, c’était du costaud. Avec précaution, il réussit enfin à s’asseoir sur sa couchette mais il était perclu de douleur comme s’il s’était battu toute la nuit.

Qu’est ce qui s’est passé ?

Puis un flash lui revint et il fronça les sourcils en relevant le regard vers le jeune homme de l’autre côté de la cage.

C’était quoi ? … Cette cape ?

Un instant, sans qu’il sache d’où cela vienne, l’image d’un loup rouge s’imposa à son esprit.

Visiblement, les questions de Maverick amusaient bien le guitariste, qui d'ailleurs n'avait répondu à aucune d’elles.Si ce n’était pas une cape, qu’était-ce ? Pas un fantôme, ça, il aurait été prêt à parier sa main au feu là dessus. Ca n’avait pas été non plus une illusion dont lui seul aurait été victime car sinon, le jeune homme aurait réagi différemment en lui demandant de quoi il causait. Hors là, sa réaction laissait clairement sous-entendre qu’il savait ce qui s’était passé. Pourtant, l’Erudit ne se rappelait pas de sa présence sur les lieux quand l'événement s’était produit. Il fallait qu’il se concentre mais c’était compliqué. Il ne savait pas ce qui lui arrivait mais son nez était assailli d’odeurs, à tel point qu’elles étaient méconnaissables. Ce mélange détonant lui donnait envie de gerber. C’était pire que de rentrer dans une parfumerie. Ils avaient des problèmes d’égouts, ici ou quoi ? Il allait faire une réflexion à ce sujet quand d’un coup, plus aucune odeur ne lui parvint, comme s’il avait tout imaginé.

Sauf que ça allait bien au-delà de ça. Il n’avait tout simplement plus d’odorat, comme si, sous la surcharge des effluves, son nez avait décidé de se mettre en grève. Mais quand un sens était en panne, un autre compensait, à ce qu’il paraissait. Sauf que ce ne fut pas qu’un seul mais deux. Sa vue se mit à se brouiller, lui envoyant des images nettes et ultra précises - trop précises et détaillées en fait - avant de se flouter et de recommencer tandis que ses oreilles montèrent soudain le son, comme si elles avaient décidé de ne rater aucun bruit les environnant. Il grogna, posant ses mains sur ses oreilles tout en fermant les paupières très fort. Purée, si cela continuait, il allait dégobiller ou tomber dans les pommes. Il ne savait pas ce qui était en train de lui arriver mais il n’était pas certain d’apprécier. C’était même un doux euphémisme que de dire ça. Il fallait qu’il se concentre mais c’était à peine s’il arrivait à enchaîner deux pensées cohérentes. Mais s’il ne faisait rien, il allait finir par devenir fou à s’en taper la tête contre les murs. Et ça, il en était hors de question.

Bordel !

Il prit de profondes inspirations lentes et entre-ouvrit les yeux pour les fixer sur le jeune homme de l’autre côté des barreaux. Se focaliser sur lui pour rester concentrer et faire le point sur ce qu’il savait. Il était à Moon Lake quand tout était arrivé. Qu’est ce qu’il savait de ce lieu ? Pas grand chose. Ville dans le Colorado, plus ou moins liée à une sombre histoire de Lycans … Des lycans … Il n’en avait jamais rencontré. Et si ? Il tenta d’observer plus attentivement le guitariste. Qu’est ce qui permettait de différencier un Lycan d’un Sorcier ou d’un humain lambda ? Il était peu probable que ça soit aussi simple que ça. Il faisait peut-être même totalement fausse route dans son raisonnement. Et même s’il avait raison et qu’il était chez les loups, cela n’expliquait pas pourquoi il était enfermé et pourquoi il était dans cet état. Est-ce qu’ils l’avaient ? Mais dans ce cas là, dans quel but ? Finalement, réfléchir n’était peut être pas la chose à faire dans son état. Mais il ne pouvait pas non plus rester sans rien faire. Ce n’était pas son genre.

Loup ?!

Le ton était hasardeux et hésitant car après tout, il n’était même pas sur de sa question. Il réussit enfin à se lever et s’approcha des barreaux. Désignant ses derniers d’un mouvement de la main, il demanda :

C’est pour éviter que je me fasse manger ? Ou au contraire, c’est pour être sur que je puisse me faire manger ? A moins que ça ne soit moi qui ne doit manger personne.

Un trait d’humour ? Pourquoi pas. Même si ce n’était peut être pas la même situation.

Et bah, il n’était pas sorti de l’auberge … Ou plutôt, de sa cage, pour parler franchement. “Un peu de tout ça”, qu’il avait répondu … Ça m'enchantait pas vraiment Maverick. Il n’avait pas envie de se faire boulotter et encore moins de manger quelqu’un. A bien choisir, il préférait peut-être même finir en casse-croûte que de devenir cannibal. Mais est-ce que l’on pouvait considérer un lycan attaquant un humain comme un cannibal ? C’était une bonne question mais il n’avait pas vraiment envie d’en connaître la réponse. Ce qu’il avait envie, c’était de se réveiller et de se rendre compte que tout ceci n’était qu’un rêve étrange, le plus bizarre qu’il n’ait jamais fait de sa vie. Malheureusement, quelque chose lui disait que c’était impossible, tout simplement parce qu’il n’était pas en train de dormir mais vivait tout cela pleinement et réellement. Une corde de la guitare de son vis-à-vis sauta, faisant un désagréable point d’exclamation à ses pensées

“L’oiseau de mauvaise augure”... Ca ne pouvait signifier qu’une chose : il y avait bien une mauvaise nouvelle dans toute cette histoire et évidemment, elle ne pouvait que le concerner, sinon, il n’aurait rien eu à faire dans sa prison. Si la mauvaise nouvelle, c’était qu’il allait se couvrir de poils et se mettre à courir dans tous les sens, la rage aux dents, chaque soir de pleine Lune, oui … c’était loin de l’enchanter. Puis d’ailleurs, comment c’était possible ? La chose - pic fulgurant dans son crâne comme si on venait juste de le frapper - qui avait fondu sur lui ne ressemblait pas vraiment à un canidé. Ca ressemblait à une peau. Pour devenir un lycan, fallait pas être mordu ou une connerie comme ça ? Il savait si peu de choses sur ces êtres. Pourtant, il en avait potassé, des bouquins à la bibliothèque du Consortium, et même certains avec des niveaux restreints. Mais très peu d’informations filtraient sur les hybrides fils de l’astre nocturne. Il ne savait pas si c’était parce qu’il n’y avait pas accès ou bien tout simplement parce ces informations restaient du domaine de l’inconnu.

Il eut un éclat de rire sans joie quand le guitariste parla de savoir ce qui lui arrivait. Il se laissa tomber sur les fesses, plus qu’il ne s’assit avant de soupirer.

Savoir ce dont de quoi je parle …

Fallait-il qu’il joue les fortes têtes, le gars sur de lui, que rien n'inquiète et qui sait dans quoi il s’embarque ? Ou bien au contraire, était-il préférable qu’il joue carte sur table et qu’il reconnaisse qu’il n’avait aucune certitude ? Il secoua la tête. Il avait beau retourner le probleme dans tous les sens, il était bien incapable de trouver une solution. D’autant plus quand il lui manquait des éléments à l’équation. Il était loin d’être un stratège. C’était plutôt au contraire, une tête brûlée qui avait tendance à agir avant tout autre chose. C’était peut être ça la clé. Arrêter de cogiter et laisser son instinct le guider. Après tout, ça avait marché plus d’une fois lors de missions sur le terrain, qu’il avait effectuées pour le Consortium. Pourquoi cela serait différent aujourd’hui ? Parce que sa vie était potentiellement en jeu ? Cela avait déjà été le cas plus d’une fois. Non, il y avait autre chose, mais il n’arrivait pas à mettre le doigt dessus.

Il allait dire quelque chose quand le jeune homme se pencha vers lui, tout en restant quand même à distance prudente. Et il renifla l’air, comme s’il cherchait à sentir ou percevoir quelque chose chez son interlocuteur. Comme une réaction instinctive, Maverick grogna sourdement, le poil hérissé. Sa vision se flouta une seconde et lorsqu’elle revint, les couleurs s’étaient estompées pour laisser plus de place à la netteté et aux détails accrus. Quand il se rendit compte de ce qu’il était en train de faire, le grondement se coupa net et il se jeta en arrière, comme s’il s’était retrouvé à deux doigts de se brûler. Son coeur battait violemment la chamade dans sa poitrine, comme s’il voulait en sortir et échapper à tout ceci. Lui aussi aurait bien aimé en faire de même.


J’pense … Que je préférerais que tu m’appelles Maverick plutôt que l’étranger ! Et je ne sais pas … y’a le choix dans les appellations … Lycan, loup-garou, fils de la Lune, thérianthrope, homme-loup …

Alors qu’il égrenait tous les noms qu’il connaissait pour décrire la situation, il sentit la panique monter en lui. Ce n’était pas possible, ça ne pouvait pas être ça. Il s’était trompé dans son raisonnement. Ou il devenait fou. Il fallait qu’il s’en aille d’ici, de Moon Lake, qu’il parte le plus loin et le plus vite possible !

“Faire partie de l’autre monde” … Oui, c’était une façon de voir les choses. Après tout, n’avait-il pas lui-même pensé ceci quand, bien des années plus tôt, il avait découvert qu’il existait toute une facette de l’univers terrestre qu’il ne connaissait pas et qu’il en faisait partie sans même le savoir. D’une certaine façon, il était passé de l’autre côté du miroir, à ses dix-huit ans. Et il fallait croire qu’aujourd’hui, il venait de recommencer une nouvelle fois, pour un monde dont il avait vaguement connaissance et dont il était fort probable qu’une grande partie de ce qu’il savait était fausse. Et qu’il s’y retrouvait catapulté sans mode d’emploi, en sachant juste que les deux facettes du miroir étaient à couteaux tirés.

Ce fut à son tour de secouer la tête quand il entendit le mot sorcier. Cela aurait pu être ça. C’en était pas loin. Il était juste l’autre côté de la pièce, ceux qu’on avait parfois tendance à oublier mais qui étaient tout aussi prépondérants que les utilisateurs de magie dans ce monde. Et au vu de la réaction du jeune homme de l’autre côté des barreaux quand il avait compris qui était réellement son interlocuteur, c’était peut être pas plus mal en fait qu’il ne soit pas thaumaturge.

Pas sorcier, non. Descendant. C’est presque la même chose, les pouvoirs en moins.

Maverick ne put retenir un grognement en entendant la dernière phrase du guitariste. Il était hors de question qu’il devienne leur prisonnier ad vitam aeternam. Ce n’était pas de ça faute s’il se retrouvait soudain dans la peau d’un loup. Ce n’était pas comme si il avait fait quelque chose pour que ça arrive. Lui, tout ce qu’il cherchait, c’était un artefact.

J’ai rien demandé moi ! Et j’ai pas l’intention de payer les pots cassés pour des rancunes qui me passent au-dessus de la tête. Si vous ne voulez pas d’adeptes de la magie dans vos rangs, grand bien m’en fasse, j’en ai rien à foutre. Mais dans ces cas-là, faudrait choisir un peu mieux vos victimes qui, elles, n’ont rien demandé ! C’est pas de ma faute si vous vous renseignez pas un minimum avant de choisir !

La panique qui avait commencé à l’envahir un peu plus tôt laissait à présent place à la colère. La moutarde était gentiment mais sûrement en train de lui monter au nez. Il était hors de question qu’il se retrouve enfermé entre ses quatre murs tout ça parce qu’il n’était pas un simple “moldu” mai un connaisseur du monde magique.

La discussion s’envenimait. Pire que cela, elle s’enlisait en même temps, s’enfonçant dans des malentendus et des positions tranchées qu’aucun des deux protagonistes n’était prêt à lâcher. Maverick sentait son corps entrer en ébullition. Il était tellement en colère qu’il n’arrivait plus à ordonner ses pensées. A cet instant, en réalité, il s’en contre-fichait de faire entendre raison au jeune homme en face de lui. Il n’y aurait pas eu les barreaux entre eux, il était fort probable que les deux hommes auraient fini par se taper dessus. Ou, en tout cas, l’Erudit ne se serait pas gêné pour le faire, peu importe que le gars en face de lui soit à peine majeur. Sa vision s’était étrécie, troublée un instant, avant que les contours ne s’affirment à nouveau  comme pour lui donner plus de netteté. Il ne voyait plus le monde comme il aurait normalement dû mais c’était à peine s’il s’en rendait compte. Tout ce qu’il ressentait à cet instant, c’était une furieuse envie de furie, de violence, de douleur et de sang.

Devenir l’un d’entre eux. Il disait cela comme si c’était un honneur ! C’était peut être d’ailleurs réellement le cas, de leur point de vue. Mais s’était-il déjà mis de l’autre côté du miroir ? Celui où les gens avaient déjà une vie qui leur plaisait et qui ne cherchait pas forcément à la transformer ou en tout cas, pas radicalement comme pouvait l’être le fait de devenir un loup ? Il était vrai que lorsque Maverick avait la face cachée du monde avec l’existence des sorciers et de tout ce que cela impliquait, il avait parfois regretté de n’être qu’un simple Descendant et pas un thaumaturge. Mais au fur et à mesure que les années avaient défilé, cela lui était passé et il s’était pleinement satisfait de son statut. Ce qui venait de lui arriver allait chambouler sa vie entière et remettre en cause son existence. Sans même avoir besoin d’en parler à quelqu’un, il savait que ça serait le bordel avec le Consortium. Il suffisait de voir la réaction qu’avait eu le jeune homme en face de lui quand il avait pensé qu’il était en train de parler à un sorcier.

Le regard ambré rivé sur le Gamma, les mains fermement agrippées aux barreaux de sa cage, on pouvait voir les jointures de ces dernières blanchir sous l’effort qu’il tentait de fournir pour se maîtriser. Mais quelque chose se fractura violemment dans son cerveau, quand il entendit les mots “jamais on t’aurait laissé devenir l’un d’entre nous”, comme si quelque chose avait voulu sortir de sa tête, avec un déchainement de férocité et d’agressivité. Il poussa un cri, tomba à genou, les mains toujours rivées sur le fer. Son cri se répercuta dans la pièce, résonnant autour d’eux avant de se transformer en hurlement lupin, qui se répercuta de mur en mur.

Dédoublement de la personnalité ! C’était le sentiment qui l’envahissait. Son être qui se séparait en deux, qui se déchirait et où chacune des parties essayait d’avaler l’autre, de le supprimer. Pour sa part, Maverick connaissait son but à lui : survivre ! Mais quel était celui de cette entité, de ce loup … Cet esprit-loup qui avait possession de lui sans le concerter avant. Si au moins l’Erudit connaissait ses motivations. Mais là, il ne savait rien et son instinct premier était de lutter encore et encore. Il était drôle le p’tit jeune mais comment voulait-il qu’il fasse comme si de rien n’était et qu’il accepte son sort sans rechigner ? C’était comme demander à un gladiateur de l'arène de poser gentiment son glaive et de laisser le tigre en face de lui le manger, avec le sourire en prime. C’était tout simplement impossible, contre nature. En tout cas, c’était lui demander d’aller à l’inverse de son caractère et cela ne se faisait évidemment pas en 5 minutes. Et s’il comprenait bien, il n’avait pas vraiment le temps non plus de se faire à cette idée … Ou en tout cas, pas sur une durée où un tel changement s’opérait habituellement.

Il fallait qu’il contrôle sa respiration, ses pensées, le rythme erratique des battements de son coeur. Il avait l’impression d’entendre cela résonner autour de lui, sous son crâne, dans un ballet fou et désordonné. Se calmer et prendre du recul, il avait dit le “j’meprésentepas”. C’était bien beau mais il n’avait jamais un grand fan de méditation et de yoga. Les retraites spirituelles, le ressourcement et la reconcentration sur soi-même, il les faisait plutôt en mode exploration perdu en pleine nature, en excursion sauvage, pas enfermé dans un cachot à Moon Lake, avec une épée de Damoclès au dessus de sa tête, ou présentement dans sa tête sous la forme d’un Esprit-Loup. C’était bien beau tout cela mais c’était comme balancer un gamin ne sachant pas nager, du bord de la rive. C’était quitte ou double : soit il se démerdait pour rester à la surface d’une façon ou d’une autre, soit il se noyait. Sauf qu’on avait oublié de lui donner le mode d’emploi. Parce que “rester calme et prendre du recul”, ce n’était pas vraiment des indications très fiables, il fallait le reconnaître. Il poussa une profonde expiration, en secouant la tête, un peu comme un cheval qui renâcle en gardant son attention focalisée sur le jeune homme de l’autre côté pour tenter de garder un point d’ancrage.

T’as pas d’autres conseils un peu plus concrets que “soit zen, mode boudhiste” ? Parce que la méditation, c’est pas trop mon truc et ça n’a pas l’air d’être trop le tien non plus !

Savoir que ce qu’il avait enduré quand la peau lui avait foncé dessus, n’était rien comparé à ce qui pouvait encore lui arriver n’avait absolument rien de rassurant et il sentit sa gorge se serrer à cette idée. Et évidemment, avoir de telles pensées ne servaient absolument à rien dans la recherche de la zenitude. Maverick se força décrisper ses doigts des barreaux et à les lâcher. Il posa son cul au sol et se recula jusqu’à ce que son dos vienne s’appuyer contre un mur.

Dis moi franchement … Ma vie d’avant, y’a moyen d’y revenir ou faut que je me fasse à l’idée de faire une croix dessus ? Et quand tu parles d’obéir … cela signifie que je ne suis plus libre de mes actes … Que c’est lui … L’Esprit-Loup, qui va régir ma vie comme un maître celle de son esclave ?

La tension semblait quelque peu s’apaiser entre les deux hommes. En tout cas, ils n’étaient plus là à se balancer des vacheries et autres petites piques à la tronche. S’ils continuaient comme ça, ils allaient même pouvoir échanger de manière constructive et intéressante. Par contre, Maverick fut plus que surpris d’entendre son geôlier appeler l’Esprit-Loup “sale race”. Ca rentrait quelque peu en contradiction avec tout ce qu’il venait de dire avant et avec ce qu’il avait laissé entendre en partageant son point de vue sur les Sorciers. Il ouvrit la bouche, s’apprêtant à lui poser une question là dessus quand il sursauta à la brusque réaction du guitariste. Il ne savait pas vraiment ce qui était en train de se passer, même s’il en avait une petite idée. Immobile, il ne pouvait s’empêcher de regarder. En fait, pour être plus exact, il ne pouvait faire autrement que de regarder comme si quelqu’un lui maintenait fermement la tête et les paupières ouvertes pour qu’il puisse observer tout son saoul. Il y avait sous ses yeux une leçon dont lui-même devait prendre note, même s’il n’en comprenait pas les tenants et les aboutissants.

Quoiqu’il en soit, le jeune homme en bavait quelque peu. L’Erudit ne pouvait que compatir. Et surtout, il se demandait ce que l’avenir lui réservait. Car visiblement, même pour un Loup-Garou plus aguerri, ce n’était pas une partie de plaisir tous les jours. Serait-ce ainsi jusqu’à la fin de sa vie ? Il parlait de cohabitation, d’équilibre, mais apparemment, il ne les avait pas encore réellement trouvé lui-même. Maverick commençait à se rendre compte qu’il ne suffisait pas de sortir de cette cage pour pouvoir faire comme si de rien n’était et retourner à sa vie de tous les jours, avec juste la petite particularité de se retrouver avec quatre pattes et couvert de poil en hurlant à la lune une fois par mois. Il avait déjà vu sa vie chamboulée une fois, par le passé, lorsqu’à dix-huit, on était venu lui annoncer qu’il était un descendant. Il avait plutôt bien rebondi. Alors pourquoi ne pourrait-il pas faire la même chose cette fois-ci aussi ? D’accord, le chemin pour y parvenir serait beaucoup plus ardu que ce qu’il avait dû affronter jusque-là mais depuis quand l’adversité et les obstacles lui faisaient peur ? Où était passée son goût du challenge, de l’aventure et de la découverte ?

Alors qu’il était en train de se perdre en introspection et autres réflexions personnelles, le Gamma lui en apprit un peu plus sur la fusion et les Esprits-Loups. Quelque chose dans son regard laissait sous-entendre qu’il était lui-même surpris par ce qu’il annonçait mais ce fut à peine si Maverick s’en aperçut. Pour la première fois depuis son réveil, il se dit que ce qui lui arrivait n’était peut-être pas une erreur  comme il s’escrimait à vouloir le faire comprendre depuis le début. C’était un choix réfléchi par quelqu’un d’autre, dont il ne connaissait pas les critères. C’était à lui d’essayer d’appréhender ces raisons. Car, se rendit-il compte avec un sursaut d’horreur, il s’était comporté comme un intolérant, fermé d’esprit et buté sur ses idées. Il était vrai que la situation n’était pas facile mais quand même, cela ne faisait pas vraiment du bien à l’égo, surtout quand on avait l’habitude d’être quelqu’un sans préjugés flagrants.

Une question de survie pour les deux …

murmura-t-il pour lui-même plus qu’autre chose, ses méninges tournant à toutes vitesses. Pendant quelques secondes, il essaya de se mettre à la place de l’esprit-loup, même si c’était un exercice quelque peu ardu, ne sachant pas assez sur cette entité.

Que se passe-t-il pour l’Esprit-Loup si la fusion est impossible ? Pour ma part, tu m’as annoncé la mort mais pour lui - elle ? - ? Car je présume qu’ils ne s’amuseraient pas à prendre des hôtes s’ils pouvaient se passer de nous. Il y a bien une raison à tout ceci même si on ne la comprend pas … Arrête moi si je me trompe, mais les loups n’ont pas l’habitude d’agir n’importe comment, sans but précis. Je présume qu’il en est de même pour leur cousin que nous sommes.

Nous. Car malgré tout ce qu’il avait pu dire ou faire, il en était un lui aussi à présent et cela resterait ainsi jusqu’à la fin de ses jours, que sa vie soit courte ou longue.