Wonderland ft Coraline

Sa longue absence avait laissé peu de traces. Coraline Ward foulait de ses pas une carte encore vierge de tout éclat. Bien sûr, elle était déjà venue étant petite sur le domaine du Consortium, mais jamais encore, elle ne s’y était aventurée pour y suivre son propre destin. Ses pas accompagnaient presque toujours ceux d’un autre et aujourd’hui encore, ils se caleraient dans ceux d’un illustre inconnu. La petite brune n’ignorait pas que le temps était à l’œuvre et que bientôt, elle serait seule à tracer sa propre voie.
Étrangement, les choses ne différaient pas de ce à quoi elle s’attendait d’un campus. Le ronron des accolades bienveillantes, la promiscuité avec des sorciers de tout horizon, la confortaient dans cette engourdissante idée, qu’elle était à sa place. Toutefois, elle gardait en tête les raisons du retard de son intégration dans la prestigieuse académie. Cette soudaine réminiscence d’appréhension, l’avait contraint à rester en retrait. À l’exacte opposée de ce qu’elle aurait souhaité, Coraline espérait se fondre dans la masse. Tout était devenu oppressant, lorsque quelques regards persistants s’étaient figés sur elle. La brunette angoissait. Son cœur était prêt à exploser lorsqu’une ombre s’avança vers elle ; un jeune homme à l’allure clinquante de quelques années son ainé. Bien qu’il paraissait avenant à tout point de vue, Caroline se rappelait des erreurs passées. Elle appréhendait le danger et devait redoubler d’efforts pour ne pas se confondre dans ses sempiternelles travers. Appeler à l’aide, demander le renfort de son frère ou de Ciaran était tentant. Mais si elle devait avancer, elle devait surmonter ses angoisses et se faire sa propre place dans le vaste échiquier du monde. Elle était l’héritière des Ward. Sa voie était tracée… Encore fallait-il avoir assez de cran pour y faire face.
Dans un élan modéré, débordant de maladresse, la jeune femme entrepris de saisir la main tendue. Tout un remplaçant une mèche de cheveux derrière son oreille, elle s'empressa de fuir du regard le jeune homme qui l'avait accostée.  « C’est ça, oui. Le bouquin ? Euh…. Non. » Sa culture n’était en rien littéraire, elle se contentait de faire illusion dans une profusion lexicale à de vagues citations d’auteurs ou de répliques retenues après de longues heures à visionner des films et des séries en streaming. Coraline était une enfant terriblement ancrée dans son temps, peut-être un tantinet trop figée dans la culture du numérique et des diverses applications qui lui offraient un tant soit peu l’assurance d’échapper à une réalité un peu trop lourde à assumer.
Elle ravisa sa posture, tandis que son regard balayait les contours de la silhouette statufiée devant elle. Il n’avait pas dit son nom, mais il proposait son aide sans savoir de quoi il retournait exactement. Cela la rassura et d’une certaine façon, elle retrouva un peu d’aplomb. «  Je ne suis pas sûre d’avoir besoin d’aide… » Honteux mensonge. « Mais, si j’ai des questions, je n’hésiterai pas ! » Les étudiants se mirent en route en troupeau. Le discours des tuteurs raisonnait dans un murmure lointain et  engourdissant. Tant et si bien, que ses pensées finirent par se focaliser vers les bâtiments dédiés au Dark Minders. Quelque part, là-bas, son frère et Ciaran s’entraînaient. Ils n’étaient qu’à une centaine de mètres et pourtant cela lui semblait presque aussi éloigné que l’ancienne distance qui les séparait il y a peu. « J’ai une question ? Est-ce que nous avons des cours avec les Dark Minders ? »

Les mots glissaient sur la petite brune, alors que son regard se perdait dans des limbes invisibles. Il était difficile de dire si elle était triste ou juste perdue dans ses pensées tant ses traits s’étaient figés dans un masque d’incertitude. Pourtant, à bien y regarder, Coraline s’était décrispée au fil des mots. La posture rigide de ses épaules s’était fléchie et les muscles tendus de son visage, avaient laissé place à une ébauche de sourire. Quelque part, Nathanael Morales venait d’apaiser ses craintes. « Je suis née à Fairwood et ma mère a travaillé quelques années au Consortium… » Coraline avait répondu avec franchise et bien qu’elle ne souhaitait pas se montrer impolie, elle préféra éluder le fait que sa famille était intimement liée à l’histoire des Dark Minders. « «Je m’y perdais souvent étant enfant. » Ce n’était pas tout à fait faux. Alexander n’était jamais loin en ce temps-là. C’était sa vie d’avant…
Avec plus de légèreté, elle emboîta le pas derrière les autres groupes et resta aux côtés de son interlocuteur pour poursuivre. « Je devais intégrer le Consortium plus tôt, mais j’ai eu quelques petits problèmes. » Sans rentrer dans les détails, la jeune femme s’était contentée de passer  sa main dans ses cheveux dans un indéfectible sourire d’embarras. « C’est un peu compliqué, mais je suis là maintenant. J’ai l’impression d’être un peu… Décalée. » L’aveu fait, Coraline ne put s’empêcher de se trouver bête. Comment un illustre inconnu pouvait comprendre ses états d’âmes ? Jusqu’ici, elle n’avait parlé de son ressenti à personne… Ni sa mère, ni sa tante, pas même Alex et encore moins Ciaran. Alors peut-être était-ce le moment ? Le poids de toute une vie pesait sur ses épaulse, elle n’ignorait pas qu’un jour, elle devrait se confier. « Je… En fait… » La jeune femme tournait inlassablement autour du pot sans savoir si le moment était bien choisi. C’était difficile de se lancer, compliqué et douloureux, car tout se mélangeait dans sa tête ; les sentiments, la peur et l’incertitude tournoyaient joyeusement en elle dans un curieux manège.

Sans comprendre comment les choses s’étaient enchaînées, Coraline se retrouvait devant un chocolat chaud. Les paroles rassurantes et le timbre apaisant de Nathanael invitaient tout son être aux confidences. Pourtant, jusqu’ici, elle ne s’était jamais livrée. Que cela soit après l’incident de son anniversaire, face à sa mère ou aux Ward, Coraline n’avait jamais cédé. Elle s’était montrée forte et inébranlable. « Je… » Ses mots s’embrouillaient dans sa tête. Les larmes commençaient à monter. Ce n’était pas vraiment comme si elle ne souhaitait pas se confier, elle ne savait juste pas par où commencer. Ses problèmes étaient tous noués les uns aux autres de telle façon que tirer sur un bout, revenait tout simplement à étrangler un peu plus son désir de se libérer. « C’est compliqué… Tellement compliqué. » Le petit filet de voix raisonnait bruyamment à ses oreilles, comme si elle parlait distinctement dans une église. Pourquoi fallait-il que cela prenne une dimension si solennelle, après toute son histoire n’était pas si extraordinaire ? Elle grattait sa nuque nerveusement, jouait inlassablement durant de longues secondes avec les manches de son sweat-shirt, pour finir par lâcher un pas tout à fait exact ; « Je suis l’héritière d’une lignée éteinte depuis plusieurs générations. Je hais ma magie d’origine et je suis absolument nulle dans sa pratique. Une tarée d’oracle a prédit ma mort, ce qui m’a conduite à être placée sous surveillance dans un temple grec chez des illuminés… » Elle reprit son souffle tout en prenant soin d’esquiver le regard de son interlocuteur et finit par préciser dans un profond soupir. « Et accessoirement, j’ai le béguin pour le meilleur ami de mon frère. » Elle se redressa, surprise, comme si ses propres propos venaient de la surprendre, la motivant à revenir sur ce point en insistant bien. « Enfin… J’étais, je ne sais plus. Le revoir est…. Étrange. Tout est étrange. Mes amis de l’époque ont continué leur vie sans moi. Tout le monde… C’est normal. Je ne juge personne sur ça. Moi aussi… Enfin, j’ai fait des choses aussi de mon côté, mais revenir… » Soupira t’elle en pinçant l’arrête de son nez. « C’est compliqué. J’ai l’impression d’avoir loupé des tas de choses. Tout le monde est différent, je ne sais pas où je vais… Ce que je dois faire. Ce que je dois faire pour remettre les choses en place, parce que je sais que je ne peux rien faire. Je sais qu’il faut que je prenne du recul, que je grandisse, ou passe à autre chose. Mais toute cette pression… Ils sont tous après moi, me scrutent, m’analysent en se demandant si je vais finir par craquer ou si je suis apte à être… Moi. » Elle interrogea Nathanael du regard et soupira de nouveau. « Le problème, c’est que je ne sais plus qui je suis. » Elle s’accouda nerveusement sur la table et empoigna ses cheveux en baissant la tête. « Ma tête va exploser… Je suis désolée… »