PV Dante - Les Fourberies de Scapin

Mardi 2 avril 2024 - Londres :

Assit dans mon fauteuil en cuir, je regarde l’écran de mon ordinateur, mon patient de l’heure voit son dossier défiler dans mes lunettes et mes yeux lire rapidement les informations qui s’y trouvent.
-Bien Monsieur Crawley, certains résultats de votre dernière prise de sang m’inquiètent un peu. Votre glycémie prend un chemin qui me déplait. Ce n’est pas encore alarmant, mais je vous demanderais de faire un contrôle pour l’hémoglobine - j’aime ce mot, bien trop, chaque jour me bat contre cette irrépressible envie de planter mes crocs dans leur carotide, de laisser la Bête du Gévaudan revenir. - glyquée, vous aurez donc une prise de sang à faire avant mardi de la semaine prochaine pour que je puisse avoir vos résultats rapidement et je vous la renouvelle pour dans trois mois, afin de voir si vous avez un début de diabète.

Je viens reposer mon dos contre le dossier de mon siège et regarde, l’homme d’une cinquante d’année qui se tient devant moi. Rien qu’à l’odeur de sa transpiration, je sais qu’il a du diabète, que son sang serait un sirop succulent.

-Par contre, vous avez de meilleurs résultats pour votre cholestérol, continué comme ça, suivez bien le traitement.

Je me force à sourire, il parait que ça encourage les patients à bien suivre les médications et surtout ça fidélise la patientèle… Je n’aime pas me forcer à sourire, mentir simplement pour que de pauvre malade voie une certaine forme de compassion alors que chez la plupart de mes confrères tout ce qui les intéresse, c'est le chiffre qu’ils se font à la fin du mois…
Moi j’annonce des faits, j’énonce des vérités que les examens que je demande révèle.
-Très bien. Je vous prends rendez-vous pour le mercredi 10 avril et ensuite je vous programme un rendez-vous aussi pour le mardi 2 juillet, j’ai de la place à ses deux dates à dix heures, ça vous convient ?

Je tapote sur mon clavier le nom du patient pour enregistrer nos prochaines rencontre.
-Sur ce je vous souhaite - Je me lève de mon fauteuil et lui tends la main qu’il serre en se levant- une bonne fin de journée, prenez soin de vous et à la semaine prochaine.

Je le regarde sortir du bureau et me laisse tomber dans le fauteuil. Entre mes doigts glisse mon smartphone et je consulte les dernières nouvelles du Consortium, pour le moment aucune convocation ni même assemblée qui demande ma présence. Ce qui signifie que je n’ai aucune extraction mémorielle ou intervention dans les classes vampiriques de l’académie à faire.
Un fin soupire s’échappe de mes lèvres et je ferme mon Mac.

Il est temps pour moi de rentrer, de rejoindre la Villa Volturi et les Princeps Mucci…

Lundi 15 avril 2024 - Barcelone :

Les beaux jours reviennent dans la capitale catalane, le soleil perce les nuages et réchauffe la terre barcelonaise, mais il faut se méfier de cette météo méditerranéenne, car on ne sait jamais si le temps restera toujours au beau fixe. 
L’adage ne dit-il pas : « En avril, ne te découvre pas d’un fil ? »

Mes iris profondément sombrent, suivent les passants qui déambulent le long de la rambla de Mercedes, flânant, de vitrine en vitrine, s’extasiant devant les architectures alambiquée inspirée par le peintre Salvador Dali, ils prennent des photos et rient.
Ils vivent là où moi, je ne fais plus que semblant. 
Je pousse un énième soupir de la journée et me laisse glisser jusqu’à la porte de mon bureau donnant sur une salle d’attente qui s'est bien vidé depuis le début de cette longue journée. 

-Señora Escuerta, s’il vous plait…

Je m’efface dans l’encadrement de la porte pour laisser passer ma nouvelle patiente, je jette un dernier regard dans la salle d’attente et je ferme la porte. 

-Asseyez-vous.

Je fais le tour de mon bureau, silencieux comme la mort qui me colle à la peau, avant de m’installer face à la jeune dame. Mes phalanges glissent sur le pad de mon Mac et affiche d’un clic léger le dossier le demoiselle.
-Dites-moi…

Aucune fioriture.
Jamais de détour. 
Il ne faut pas.
-Il me faudrait un renouvellement d’ordonnance pour ma pilule contraceptive et voilà… J’ai rencontré quelqu’un, nous avons eu un rapport et il semblerait que la protection que nous avons utilisée se soit rompue… Et pardon, c'est gênant à raconter… 


Ses pommettes se gorgent de sang, les battements de son cœur accélèrent et son souffle devient erratique. Ses glandes surrénales libère dans son système circulatoire du cortisol, ce qui provoque toutes ces modifications de caractéristique physiologique notable.
-Et je voudrais faire une prise de sang pour…

-De quand date ce rapport ?

Je la coupe sans ménagement, je n’ai pas cette patience que peuvent avoir mes confrères, tu as couché avec un homme sans protection et surement sans le connaitre plus que ça et maintenant, tu angoisses à l’idée qu’il t’ait refilé une IST. Pas besoin de faire de détour, pas besoin de raconter une histoire sans fin… 

-Il y a trois semaines… 



Mes doigts jouent avec les touches du clavier et je lui prescris un bilan complet avec les principales infections sexuellements transmissible : HIV, Hépatite B et C, Syphilis et un test urinaire pour les Chlamydias et les gonocoques. 

-Faites la prise de sang dans trois semaines. S'il y a une possibilité de contamination au HIV, il ne sera pas détectable avant six semaines après le dernier rapport…

J’imprime l’ordonnance de la prise de sang avant de parcourir son dossier et de regarder les dernières prescriptions que j’ai pu lui faire pour sa contraception. Un copier-coller rapide et je lui donne le renouvellement de son ordonnance contraceptive. 

-Autre chose ? 


Je plonge mes iris couleur de nuit dans les siennes d’or. Elle me fait signe de la tête et je me lève de mon fauteuil lui tendant la main pour serrer la sienne, elle finit par poser sur mon bureau le règlement de la séance et quitte la pièce en ferment la porte… 
Je pousse un long soupire, il y a bien longtemps que je ne fais plus partie de ce monde à proprement parler. De mon temps la médecine se résumait à poser des sangsues et pratiquer des saignées qui pour le coup ne soignait pas grand-chose.
Et je ne parle pas des infections vénériennes, elle n’étaient pas connue et les mortels dépérissaient rapidement, jusqu’au jour où en 1790 les premiers vaccins ont été mit au point en injectant la variole des vaches au vivant souffrant à l’époque de la grande variole…

La médecine à depuis ce jour fait d’immense progrès, nous pouvons utiliser des aimants surpuissants dans les IRMs pour voir l’intérieur du corps, on peut doser dans les molécules dans le sang pour détecter les cancers. Tout cela poussé par le génie scientifique et la vision grandiose de savant parfois prit pour des fous… 


Je fais le tour de mon bureau et ouvre la porte et avec un accent espagnol presque parfait, j'appelle mon patient suivant…

Je m’efface pour laisser passer un jeune homme, un nouveau patient qui a pris rendez-vous sur la plateforme qui me permet de remplir mes agendas. 

Son passage laisse une note fugace de bergamote intense et entêtante.
Mes yeux roulent dans leurs orbites alors que je me retourne pour fermer la porte. 



Je finis par m’installer en face de lui après lui avoir montré un fauteuil sur lequel s’asseoir et l’avoir salué d’un mouvement de tête, sur mon visage un manque cruel d’expression, un masque de marbre flamboyant érodé par les années passé à côtoyer mortel et autres. 



Mes doigts glissent sûr les touches de mon clavier, tel un pianiste jouant une sonate, délicatesse, précision. J’ouvre l’application de prise de rendez-vous et notifie l’absence de motif. 

-Très bien… Je vois que vous n’avez pas rempli la raison de votre rendez-vous.

Je m’installe dans le fond de mon fauteuil, mes iris noir se posant sur le jeune homme. 

-Expliquez-moi ce que je puisse faire pour vous. 


Ses mots ne tardent pas à raconter les maux qui le tourmentent. Une apathie de la vie, un sentiment de dissociation entre son esprit et le monde. Les caractéristiques de base de la dépression.

Dans un monde ou estime que près de quatre pour cent de la population souffre de neurasthénie, il est régulier qu’on se présente à moi en dévoilant ses sombres pensées…
Pas mal de mes confrères pensent que ce n’est qu’un effet de mode.
Une maladie fictive.
Une imagination qui plonge les rêveurs dans un monde de noirceur. 



Quand on regarde les chiffres au fil des années, il est vrai que nous pouvons observer une augmentation significative des cas. 
Dans les années 1980, on appelait ça le surmenage. 
Au début des années 1700, on appelait ça l’hystérie, emprunté au terme « hystéricque » du seizième siècle qui signifie « malade de l’utérus », des névroses que les médecins de l’époque imputait aux femmes et uniquement à elles.
-Je vois… Sans l’avis d’un confrère psychologue, je ne peux vous prescrire une médication qui pourrait calmer vos troubles. Je comprends bien que cette situation est difficile. 



Je fais glisser entre mes phalanges un stylo tout réfléchissant à comment ne pas perturber ce jeune homme qui danse déjà sur une corde fine sans filet de sécurité. 

-Comprenez qu’avant de délivrer des inhibiteurs sélectifs de la sérotonine, des anti-dépresseurs donc, il me faut savoir si vos maux peuvent être traités par ce genre de molécule. Mais sachez que dès qu’un diagnostic sera posé, je pourrais offrir une solution qui saura calmer votre psyché.

Les étapes menant à la guérison, où tout au plus à une stabilité émotionnelle, sont longues et laborieuses. 

L’acceptation que nous n'allons pas bien. 

L’acceptation que nous avons besoins d’aide. 

L’acceptation de suivre une thérapie régulièrement. 

L’acceptation de prendre une médication. 


Quatre étapes lourdes et difficiles, mais avec une motivation d’acier et la route vers une guérison est possible, mais encore faut-il en avoir envie… 

Est-ce son cas ? 

A-t-il réellement envie de s’en sortir ? 

-Pour débuter, je peux vous écrire une lettre de recommandation à un confrère ? 



Mon menton se relève et j’attends sa réponse.
Sculpture de marbre impassible…

Il a des remords. Il s’en veut et sans ça le processus de guérison n’avancera jamais. Faire preuve d’un minimum d’humanité, de désir de guérir est le premier pas vers le repos de la conscience.
Après une longue explication où mes mots ont été choisis avec précision, exactitude et une délicatesse fausse, j’attends sa réponse.
Et comme si plus personne n’était là, comme si le monde s'était effacé autour de lui, il sombre dans une phase dissociative flagrante.

Sa dissociation se conclut par un excès de violence, il se redresse et réfute hargneusement sa présence ici.
La fracture est évidente.
Elle est là.
Fine, mais béante, faiblement dissimulée derrière un égo masculin.
Il aura seulement suffi que je lui propose une solution pour qu’il s’enflamme et renverse mon mobilier. Pourtant, je ne montre toujours aucune émotion, aucune colère ou peur.
Impassible masque d’argile que j’ai appris à façonner et à porter.
Mais contrairement à ce que j’aurais cru penser, il se ressaisit et s’excuse pour cette scène.

Si seulement je pouvais faire pareil.
M’excuser pour les vies que j’ai prises.
Pour ces familles que j’ai brisées.
Mais il est trop tard.
Mais tout cela remonte à si longtemps.
À un passé qui a oublié l’existence de la Bête du Gévaudan, du monstre qui a ravagé la Lozère pendant une partie du XVIIIᵉ siècle.
-Ce n’est rien… Ne vous en faites pas.

Je le laisse souffler un coup et lui tends une lettre signée, adressant le patient à un confrère.
-Prenez le temps qu’il vous faut. Durant votre recherche pour un spécialiste, essayez de trouver une activité qui puisse vous permettre de vous vider la tête, une bulle, un safe-place.

Je finis par me redresser et faire le tour du bureau, ma main se pose sur son épaule, un geste empreint de compassion. Un geste que je n’ai pas avec tous mes patients, mais ce jeune homme mérite de trouver le repos auquel il aspire…
-Je vous laisserai reprendre rendez-vous dès que ce sera possible.

Je finis par raccompagner le jeune homme à la porte.
-Prenez soin de vous, Señore De La Vega.

Lentement, je referme la porte et pousse un long soupir, cette journée a été longue malgré les cas pour le moins ordinaire traité aujourd’hui, je me sens las.
Cette vie n’est peut-être plus pour moi… Enchaîner tant de cabinet et de consultation n’était pas vraiment une excellente idée et je m’en rends compte maintenant.

Assis dans mon fauteuil, les jambes croisées et les doigts entrelacés, je regarde l’écran de mon ordinateur, sur une page d’information d’un journal londonien, j’y apprends la mort tragique et pour le moins violente d’un de mes patients.
-Tsss… Fais chier !

Mon téléphone glisse entre mes doigts et je compose le numéro rapide d’un de mes collègues et ami vampire de la capitale anglaise.
-Joey ? C’est Adam ! Très bien merci et toi ? Tu peux me trouver un créneaux pour que je puisse voir Monsieur Crawley ? Tu as dû le recevoir dans tes frigos…

Mon interlocuteur me laisse en attente quelques secondes.
-Oui, c'était un de mes patients ! Très bien, je serai chez toi demain avant l’aube…

Je raccroche et tapote mes lèvres avec le smartphone… Si les informations rendues publiques sont justes, il serait mort quelques heures voir minutes après mon rendez-vous avec lui et je risque d’être interrogé, ça chamboule tout mon planning, mais demain, je serai sur Londres…